La volonté d’un homme

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Il est des hommes dont on a oublié le nom ou dont la mémoire n’est pas honorée au niveau de ses actions. L’Abbé Pierre VIALE (1912-1996) est l’un d’eux. Enfant de Tourrettes, il choisit de servir ses semblables en devenant prêtre. Ordonné en octobre 1935, après avoir exercé son sacerdoce dans des villages de l’arrière-pays à Gréolières et Saint-Auban, il est nommé dans son village natal en 1954.

Le chanoine Viale qui avait déjà relevé des édifices religieux ne peut pas rester indifférent devant les ruines de la chapelle Saint-Jean. Avec les encouragements de la population, il va relever le défi : redonner vie à la chapelle.

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En effet l’attachement des villageois à leur patrimoine religieux reste très fort. Ces images d’une procession à la Croix de Mission, route de Grasse, à la fin des années 50 illustre bien la place encore tenue par la religion dans les villages à cette période.

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L’histoire de cette chapelle des Pénitents Blancs est décrite dans le livre de Nicole Andrisi. Aussi l’objet de cet article se limitera à la relation de l’action d’un curé de village qui a su mobiliser les volontés et rechercher des finances pour atteindre l’objectif ambitieux qu’il s’était fixé. Très vite l’aventure démarre avec le soutien bienveillant de la municipalité. La fameuse anecdote «une vengeance qui sent le soufre ou les pétards mouillés du 14 juillet», qu’auraient pu vivre Peppone et Don Camillo, racontée par Marie-Magdeleine Lammli n’interviendra qu’une vingtaine d’années plus tard avec une autre équipe municipale. L’été 1955, il anime une sorte de chantier de jeunes, un centre aéré avant l’heure. Avec la bénédiction des parents, les enfants du village commencent par débroussailler les ruines couvertes de ronces. Puis ils les nettoient car certains habitants, devant l’état de la bâtisse, en avaient fait une sorte de décharge. Enfin ils préparent la suite en déposant sur place, sable, matériaux divers et échafaudages pour passer le relais aux maçons. Les plans tracés par M. Roux selon les directives du curé sont donnés à l’équipe Isoardi qui va conduire les travaux de maçonnerie. Ayant très tôt pressenti l’importance de la communication pour accompagner l’action, il fait éditer dés octobre 1955 un petit fascicule mensuel « le clocher aux violettes ». Dans cet opuscule qui apporte les informations de la vie de la Paroisse et des rappels de textes religieux, il donne l’état d‘avancement des travaux, les sommes investies et les besoins financiers encore nécessaires.

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En regardant la couverture du « clocher aux violettes » une question vient à l’esprit : pourquoi avoir choisi un dessin de la Tour de l’Horloge qui abritait la mairie en 1905 au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et non pas un croquis représentant l’Eglise ? Une réponse possible pourrait être l’amour d’un homme pour le village où il a passé son enfance et pour sa fleur symbole. Cette hypothèse peut être renforcée par le petit ouvrage «Tourrettes-sur-Loup-Constantine Provençale et Cité des Violettes » , vendu au profit de la paroisse, qui présente aussi une couverture « laïque » avec le village dominé par cette tour et un champ de violettes sous un olivier. Enfin la prise en compte de l’importance de la fleur se concrétise dans un des numéros du « clocher aux violettes» où il décide un aménagement au rythme des offices: « A partir du 1er dimanche de décembre, la messe paroissiale officielle est la messe de 17 heures, ce qui vous permettra d’aller à vos violettes et de satisfaire au précepte du dimanche ».

Le bénévolat est important mais l’argent est le nerf de la guerre : en mars 1956 il écrit « La Chapelle avance la toiture est mise. Le plafond un peu retardé par la neige et le froid du début février, prend tournure ainsi que les murs intérieurs. Le schéma électrique est placé. OUI, mais… ce n’est pas fini, ce n’est pas payé, et combien de billets bleus encore ne faut-il pas ? La séance récréative du 8 janvier a rapporté 14 000 frs. Le tronc de la crèche après déduction des frais : 12 000 frs. » Il lui faut trouver des fonds, l’appel aux dons « Des dons de 2000 frs ont été reçus, mais nous ne sommes pas encore au bout. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières ; ne vous découragez pas : la moindre obole sera la bienvenue » reste une solution habituelle mais rares sont les gens aisés et pas de mécène en vue.

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Ralph Soupault en plein travail. ( photo M.H Soupault)

Alors l’Abbé Viale se fait commercial : « Si vous achetez la petite plaquette « des Tourrettes » vous participez aux œuvres de la paroisse. Et votre curé peut aussi vous vendre au même prix qu’ailleurs une belle reproduction du tableau de Franconi et le bénéfice de la vente est affecté par lui à la Chapelle ». Il se fait aussi organisateur de manifestations : « la journée des Petits Chanteurs a laissé 37 000 francs de bénéfice. Et ce fut une journée faste pour la paroisse ». Cette collecte permanente de fonds est indispensable. L’ouvrage avance et les factures suivent : « 20 000 frs donnés au carrier comme acompte pour le dallage de l’autel, 25 000 frs pour payer le devis et l’installation du compteur électrique ». Il rappelle dans chaque numéro du clocher son numéro de CCP « Marseille17.1702 », indique que le tronc de l’église et lui-même recevront volontiers les oboles. Mais cette omniprésence de l’argent le gêne un peu. En mai 1956, il écrit : « Il faudrait que le 24 juin, fête de la Saint-Jean, qui est le jour prévu de l’inauguration par Monseigneur l’Archevêque, évêque de Nice, nous soyons tous dans la joie, sans que la question d’argent vienne l’assombrir ». L’inauguration est reportée mais le 24 juin a été fêté : « ce fut un avant-goût de ce que sera l’inauguration lorsque la chapelle sera complètement terminée ». L’émotion est là dans son récit : « la Saint-Jean fit revivre une belle journée d’antan…du temps où les confrères pénitents y célébraient leur fête. Combien de yeux de plus de 60 ans se sont mouillés en ce jour de voir revivre leur chapelle ». Mais dans son texte il revient très vite à la réalité : « nous arriverons au but, aidez votre pasteur car il doit payer les factures maintenant ». Et avant de conclure en indiquant que la date de l’inauguration dépendra des vitraux, il redonne son CCP, la bonne vieille méthode Coué. Simultanément les artistes et artisans d’art du village habillent le bâtiment, le peintre à la violette , puisque l’on ne peut pas citer son nom, peint la fresque des deux Saint-Jean. On peut s’interroger sur cet anonymat voulu par l’artiste. Deux réponses sont plausibles. Philippe Saint-Germain dans un article écrit en 1956 propose une lecture mystique. Pour lui, l’homme s’efface volontairement derrière son œuvre, renouant ainsi avec les traditions du moyen-âge où tous les artisans travaillant à l’édification des cathédrales voyaient leur travail comme un hymne à la gloire de Dieu sans jamais assurer leur célébrité. Il conclut que cette démarche est sans doute aussi une réaction à la mode qui transforme les noms chapelles dédiées aux saints en chapelles de tel ou tel artiste les ayant redécorées. Une autre lecture est plus prosaïque, les démêlés de l’artiste avec la justice, pour son attitude pendant la guerre, le conduisent à rechercher une certaine discrétion. Chacun en conscience pourra se faire son sentiment. Le potier Maurel réalise les chandeliers et la croix. Le chemin de croix est en rondins d’olivier taillés par le Chanoine lui-même et décorés par M. Loner de Vence. Ce dernier a aussi sculpté la porte du tabernacle. Les vitraux sont exécutés par un atelier niçois d’après des dessins de M. Roux. Celui-ci a aussi dessiné la porte (fabriquée par M. Lecoq le menuisier du village) et avec Suzanne Boland, Ralph Soupault a aussi illustré le petit ouvrage cité précédemment. L’action va se poursuivre car si le plus gros est terminé, il reste encore beaucoup de points de détail à régler. Parfois le bon père Viale se fâche, en novembre 56 il peste contre Nice-Matin qui a refusé d’insérer un article qu’il avait écrit pour répondre à un papier paru dans ce journal. Dans le clocher il écrit : « A chacun son dû…Si M.Brechet avait décidé de relever la chapelle et de la décorer depuis 1953 ». Il poursuit en expliquant que si tout le gros œuvre était fait sous sa responsabilité : « il était bien entendu que M.Brechet ferait la décoration, mais depuis 3 ans on attend toujours son œuvre ». Pendant trois ans, il va poursuivre avec détermination son action, collectant des fonds, organisant des manifestations, mobilisant les énergies. La vente du petit fascicule ne donne pas tous les résultats escomptés, en effet « en libre service » à l’entrée de l’église certains le prennent et oublient de régler le prix d’achat ! Pendant cette période durant laquelle le peintre à la violette va imaginer les autres fresques, la chapelle va servir de salle de catéchisme et accueillera tous les 24 juin les messes de la Saint-Jean.

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La messe d’inauguration, le père Viale au centre et Jacques Soupault enfant de chœur à gauche.
Le chanoine Rostan officie sous le regard de Mgr Verdet. Mesdames Trillaud, Isoardi, Mlle Rose et les deux fillettes, Maryse Gasquet et Maryse Isoardi.

Finalement, l’inauguration se déroule le dimanche 18 octobre 1959. Quatre ans après son retour dans son village natal pour exercer son sacerdoce il a atteint son objectif. Une belle cérémonie, présidée par Monseigneur Verdet évêque auxiliaire de Nice, rassemble toute la population autour de son curé et de son maire. Tout le monde ne peut pas rentrer dans la chapelle pour assister à la messe. Les seules fleurs sur l’autel étaient des violettes donnant une note vive sur l’autel en pierre de la Sine et présente aussi sur les fresques de tous les pans de mur, elle signe ainsi l’identité partagée par tous les tourrettans.

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