Un tourrettan nous donne son appréciation
sur ce que l’exécutif voulait appliquer aux plus de 70 ans

Nous les seniors
Il était envisagé un confinement sans horizon
Une réflexion parmi d’autres…

Notre monde n’était pas celui de nos parents. Beatles, mai 68, télévision, transistors, chaines hi-fi, scooters, tout allait trop vite pour eux.

Le monde d’aujourd’hui n’est plus le nôtre. Technologie galopante, capitulation devant le flot de désirs créés par une frénésie compulsive et envahissante de médias et de publicitaires, nous devrions nous adapter, mais nous adapter à quoi ? A la fièvre ? A la violence ? A ce qui nous ennuie ? Nous survivons dans un décor imposé.

Certains d’entre nous ont été glorieux, ils ne le sont plus. D’autres provoquent en croyant bien vieillir. Sur la plage ils se déshabillent pour courir après une balle. A la campagne, ils s’asseyent sur des fourmilières pour manger des sandwiches. A la montagne ils marchent des heures chargés d’un sac à dos qui arrache leurs épaules. Ils appellent ça prendre du bon temps.

Mais nous sommes quelques poignées qui survivons en rejoignant ce qui fait tant défaut aujourd’hui et qui nous ressemble à présent. Eviter toute agitation. Nous jeter dans les livres mais élégamment, sans hâte apparente. Goûter des plats simples sans obligation de les revisiter ni de les vicier avec des condiments, épices, fruits et racines provenant de très lointaines contrées. Peut-être parce que nous sentons le temps qui passe nous regardons courir les nuages, nous écoutons la pluie et nous nous protégeons du soleil tout en l’exaltant, Bach, Fauré et quelques autres environnent nos fauteuils. Certains se penchent sur des plates-bandes, d’autres tondent l’herbe mais beaucoup d’entre nous prêtent l’oreille au murmure d’un ruisseau, au chant des oiseaux, guettent le retour des hirondelles, attendent les stridulations des cigales dans la journée, le crissement des criquets dans les crépuscules, vident au matin les cendres encore chaudes des cheminées, savourent avant le dîner un verre de vin rouge élégant ou corsé, un verre de vin blanc suintant, et nous tous redevenons attentifs aux arbres, nos amis. L’emprise des activités, l’artifice des tentations, la fatuité du monde agité nous ont éloignés des arbres, ces grands fûts dressés vers le ciel. La dépendance forcée, aveugle, nous a rendus étrangers à la faune, à la flore, à la terre. A la contemplation, à la rêverie, à la lecture, au temps qui passe. Redevenir humain, une tâche qui occupe la vieillesse.

Distants, observateurs, dans une maison douce et tendre ou dans un jardin bruissant nous ralentissons le pas en souriant des chamailleries de la classe politique. Désormais nous voyons les générations qui nous suivent s’échiner à obtenir une nomination, les faveurs d’une femme, d’un poste en vue, oubliant d’où nous venons, nous sommes des égoïstes revenus des machines à fabriquer des cons. Revenus ? Non, soyons honnêtes, éjectés ! Et c’est tant mieux, le bon temps est de retour mais sacrément écorné, le temps. Avec des jumelles nous observons en maugréant ou en souriant selon les caractères et que voyons-nous ? Autrefois on faisait tout passer avec de l’esprit, aujourd’hui on mise tout sur la compétence et l’expertise, en réalité seuls les mots changent. La morgue, l’amour de l’abstraction, le contentement de soi, l’ironie, pourquoi lutter ? Retirons-nous.

Nous n’avons pas rejoint le clan des sages ni celui des philosophes, l’âge est notre seul moteur, en somme nous n’avons aucun mérite.

Les autorités compétentes souhaitaient nous confiner dans un après sans horizon, dans l’attente d’un hypothétique vaccin. Laissez-nous la liberté d’en décider, l’âge nourrit le discernement et vous ne serez pas déçus.

Serge Dupont-Valin

* Serge Dupont Valin, né au Havre en 1947, d’abord marin puis ébéniste, est désormais écrivain et réside à Tourrettes-sur-Loup.