Trois siècles avant l’épidémie du nouveau coronavirus, les Français devaient déjà remplir des attestations de déplacement, en témoigne cette archive de 1720 repérée par un historien.Laissez-passer officiel durant la grande épidémie de 1720
Laissez-passer officiel durant la grande épidémie de 1720 [Remoulin, Gard].
« Nous Consuls du Lieu de Remoulin certifions à tous qu’il appartiendra que Alexandre Coulomb consul habitant de ce lieu agé de vingt huit ans d’une taille médiocre cheveux chatain part de ce lieu où il n’y a aucun soupçon de Mal Contagieux pour aller à Blozac (Blauzac, Gard). Prions tous ceux qui sont à prier de lui donner libre, entrée & assuré passage. En foy de quoi nous lui avons accordé le présent certificat pour servir ainsi qu’il appartiendra. A Remoulin ce 4e Nbre mil sept cens vingt. Fabre Juge-Consul. (…) Veu bon pour aller à Bagnol (Bagnols-sur-Cèze) portant 400 filoselle (textile composé à partir de résidus de soie) fillée dans Remoulin, ce 26 Nbre 1720 ».
HISTOIRE
Générée sur notre smartphone, écrite à la main sur une feuille volante ou imprimée depuis notre ordinateur…Les Français ont pris l’habitude depuis six semaines de remplir une attestation de déplacement dérogatoire pour sortir faire les courses, promener le chien ou aller travailler, conformément aux mesures restrictives de confinement qui doivent limiter la propagation de l’épidémie de coronavirus.
Aussi inhabituelle que cette situation puisse nous paraître, elle n’est pourtant pas inédite. La preuve avec cette attestation de déplacement datée du 4 novembre 1720, vendue par la librairie parisienne Traces Écrites et partagée sur Twitter ce mercredi 22 avril par Jérémie Ferrer-Bartomeu, docteur en histoire, diplômé de l’École des Chartes et enseignant-chercheur à l’université de Neuchâtel en Suisse.
Elle autorise le déplacement d’un certain Alexandre Coulomb pour rejoindre la ville de Blauzac depuis sa localité de Remoulins, dans le Gard, dont les belles armes ornent le haut de la feuille. Et atteste qu’il n’y a dans ce lieu, “aucun soupçon de mal contagieux”.
Pas de Covid-19 à l’époque, mais une épidémie de peste partie en 1720 du port de Marseille, qui fit plus de 100.000 morts. “Les épidémies de peste et de choléra sont endémiques à cette époque”, raconte Jérémie Ferrer-Bartomeu au HuffPost. “L’encadrement médical était très faible, donc il n’y avait pas d’autres choix que d’interdire les déplacements. On a même tenté de confiner la ville de Marseille, comme l’évoque Marcel Pagnol dansLes Pestiférés.”
Si ce document daté d’il y a 300 ans surprend de par son écho avec notre quotidien de confinés, il est pourtant plutôt commun à l’époque, avance l’historien. “Ces attestations de déplacement sont relativement courantes du XVIe au XVIIIe siècle. Les mobilités sont contraintes, les habitants ne se déplacent pas et ne passent pas les portes des villes comme ils veulent”, poursuit Jérémie Ferrer-Bartomeu.
“Le caractère officiel de ce document, imprimé puis complété de façon manuscrite, montre que la situation est grave”, et Alexandre Coulomb ne se déplace certainement pas “par plaisir”mais plutôt pour demander de l’approvisionnement à ses confrères de Blauzac ou évoquer la question de la sûreté des rues, avance le chercheur.
Si les dispositifs de contrôle des mobilités ont tendance à être systématisés à l’époque, preuve de l’importance grandissante de la surveillance de l’État sur les individus, ils sont renforcés entemps de crise. “En contexte épidémique, se déplacer sans attestation pouvait aller jusqu’à la mort. Si le territoire était mis en quarantaine, vous pouviez être fusillé ou pendu”, assure Jérémie Ferrer-Bartomeu.
300 ans plus tard, la peine est plus clémente. Se déplacer dans les rues françaises sans autorisation dérogatoire en pleine épidémie de coronavirus est passible d’une amende de 135 euros.